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IV. Le XVIIIe siècle. Un travail biblique hors de France

Le siècle des Lumières voit se creuser le fossé entre d’une part ceux qui s’ouvrent à la dimension de la raison et de l’importance de l’individu et d’autre part ceux qui combattent cette nouvelle vision du monde au nom de la persistance des valeurs chrétiennes. L’Église catholique reste très liée au pouvoir royal qui utilise toutes les ressources juridiques et militaires pour faire disparaître l’hérésie protestante. Plusieurs initiatives catholiques cherchent cependant à élargir au peuple la connaissance du Nouveau Testament reconnu comme l’enseignement même du Christ. La Bible de Sacy publiée sous le nom de son auteur ou assortie de commentaires additionnels reste la référence durant tout le siècle.
Les protestants, privés de toute liberté, et notamment celle de publier la Bible, doivent se contenter des Bibles de famille pieusement conservées depuis le XVIe et XVIIe siècle ou d’attendre de l’étranger des bibles qui entrent clandestinement et au compte-gouttes. Pendant cette période, c’est encore la Bible de Genève qui reste la plus utilisée dans le protestantisme français. Les nouvelles traductions réalisées dans les pays où les huguenots ont trouvé refuge n’ont eu qu’une assez faible diffusion en France.

Nouveau Testament en quatre volumes, traduit et
annoté par Richard Simon et publié à Trévoux en
1702. Bossuet a déployé beaucoup d’énergie pour
que ce Nouveau Testament ne soit pas diffusé à
Paris. Page de titre, fonds SBF

Le Nouveau Testament de Richard Simon (1702)

L’oratorien Richard Simon (1638-1712) a consacré sa vie à de nombreux travaux d’exégèse et de recherche critique sur le texte de la Bible. Ses études s’appuyaient sur une solide connaissance de manuscrits et de versions du texte biblique. Il pratiquait le grec, l’hébreu, l’araméen, connaissait les méthodes d’exégèse traditionnelle du judaïsme. Un siècle après la renaissance humaniste, Simon n’est plus aussi convaincu que l’étude des langues anciennes suffise à retourner aux sources des Écritures. Pour lui, les massorètes qui affirmaient n’avoir suivi que la tradition de leurs pères ont pu se tromper: « On n’est pas obligé d’ajouter foi au texte hébreu d’aujourd’hui, comme à un premier et véritable original. On le considèrera donc comme un excellent exemplaire. » Simon s’attache à analyser et à comparer toutes les traditions à travers lesquelles le texte biblique nous est parvenu, afin d’en dégager la richesse. Pour cette raison, il n’est pas satisfait par les récentes traductions catholiques, y compris celle de Port-Royal, car il estime qu’elles manquent de base critique. Il entreprend donc une nouvelle traduction du Nouveau Testament, mais sachant que ses travaux font déjà l’objet d’une grande suspicion de la part des autorités catholiques, il fait le choix de conserver la Vulgate latine comme texte de base. Néanmoins, il donne en marge de sa traduction les variantes du texte grec et il s’attache à traduire de l’hébreu toutes les citations de l’Ancien Testament. Simon a ainsi le sentiment de mettre entre les mains de chrétiens une copie des Écritures fidèle aux originaux. Son Nouveau Testament est publié à Trévoux, dans les Dombes, c'est à dire loin de Paris. Bossuet reproche à cette traduction de Richard Simon de ne pas reproduire le vocabulaire consacré par la liturgie de l’Église et il obtient du cardinal de Paris l’interdiction de lire cette traduction sous peine d’excommunication.

La Bible de David Martin (1707)

Obligé de quitter la France après la révocation de l’édit de Nantes, le pasteur David Martin (1639-1721) trouve refuge dans les Provinces-Unies (actuels Pays-Bas). Le synode des Églises wallonnes lui demande de mettre au point une bible francophone. Avec beaucoup de sérieux, Martin serre le texte hébreu et grec au plus près, mais il reste malgré tout assez dépendant de la version de Genève. En note, Martin explique certaines difficultés du texte et donne quelques commentaires dans la ligne doctrinale des Églises calvinistes. Le Nouveau Testament paraît d’abord en 1696, puis la Bible complète en 1707 à Amsterdam. Plus que la nouveauté intrinsèque de ce travail, c’est surtout l’approbation officielle par le synode des Églises wallonnes qui a conféré à la Bible de David Martin un succès durable. En plein XIXe siècle, Victor Hugo avouera préférer la version de David Martin à toute autre.

La Bible de Charles de cène (1741)

Charles de cène (1647-1703) est lui aussi un pasteur réfugié dans les Provinces-Unies. Ce passionné de théologie, estime que les traductions en vigueur « tordent l’Écriture » et « la détournent de son véritable sens ». Comment, dans ces conditions, amener les athées et les libertins à reconnaître et à adorer la majesté de Dieu si on laisse subsister dans la Bible des contradictions qui ébranlent les principes de la logique et de la raison ? Il entreprend donc une nouvelle traduction de la Bible avec l’objectif avoué de mieux communiquer avec son époque. Il s’éloigne radicalement des anciennes traductions tout en essayant de rester fidèle à l’hébreu ou au grec. Dans le célèbre prologue de l’évangile de Jean, un des piliers de la doctrine de la divinité du Christ, de cène traduit : « L’Oracle était dès le commencement, et cet Oracle se rapportait à Dieu. L’Oracle même était Dieu. » Dans sa traduction actualisante, les docteurs de la loi deviennent des « docteurs en droit », les scribes deviennent des « notaires ». Son projet suscite de vives réactions : Charles de cène est démis de ses fonctions pastorales au motif qu’il met en doute par sa traduction certains dogmes chrétiens jugés essentiels. Ce qui met le feu au poudre, c’est le fait que sa Bible signale au lecteur les difficultés textuelles par des passages en italique. De cène signale en note que des textes comme le récit de la femme adultère (Jn 7.53-8.11) ou encore la finale de l’évangile de Marc (16.9-20) ne sont pas attestés dans les manuscrits les plus anciens. Ces indications qui font partie aujourd’hui de toutes les éditions sérieuses de la Bible, créent un véritable scandale à l’époque. On soupçonne de cène de vouloir porter atteinte à l’autorité des Saintes Écritures. Son projet, sans doute trop novateur, est condamné par le synode des Églises wallonnes. Sa Bible est interdite de publication par le pouvoir civil dans deux des Provinces-Unies, et en France, Louis XV refuse aussi de donner son autorisation.
En 1741, soit trente-huit ans après la mort de Charles de cène, son fils parvient a faire publier l’œuvre de son père à Amsterdam, mais cette Bible ne connaît qu’une très faible audience, tant en raison de son contenu jugé trop libéral que de son prix assez élevé. Elle marque en tout cas le premier essai d’une lecture plus rationaliste de la Bible clairement animée par un souci de mieux communiquer dans les catégories intellectuelles d’une époque.

Version David Martin, assortie des argumens
d’Ostervald, 1742, page de titre, fonds SBF

La Bible d’Ostervald (1744)

Pasteur de l’Église protestante de Neuchâtel en Suisse, Jean-Frédéric Ostervald s’efforce de rendre le culte plus profitable pour l’ensemble des fidèles. Il commence par rédiger un argument pour introduire chacun des livres bibliques, puis pour chaque chapitre un sommaire qui en présente les thèmes principaux et enfin une conclusion qui rappelle au lecteur l’essentiel des vérités exprimées dans le chapitre.
L’archevêque de Cantorbéry obtient d’Ostervald l’autorisation de traduire en anglais le texte de ses Argumens et Reflexions sur l’Ecriture Sainte. L’Ancien Testament paraît en 1716 et le Nouveau Testament en 1718 alors que le texte français n’a pas encore été publié. Devant la menace de voir utiliser une improbable traduction d’anglais vers français, Ostervald accepte que son texte soit publié en 1720 à Neuchâtel. En 1724, paraît une édition de la version David Martin à peine révisée, assortie des Argumens d’Ostervald.
Même s’il a passé toute sa vie à méditer les Écritures, c’est seulement en 1742 qu’il entreprend une révision complète de la Bible de David Martin. Il travaille rapidement, en deux ans, et sans abandonner pour autant ses activités pastorales. Alors qu’il a quatre-vingt-un ans, il fait paraître à Neuchâtel en 1744 une nouvelle édition revue, corrigée et augmentée. Ostervald précise dans son introduction que sa logique de révision a été « de faire les corrections qui paraissaient nécessaires, de changer des expressions et des manières de parler qui ne sont plus en usage et pourraient causer de l’obscurité ».
Cette édition propose en outre de nombreuses notes pour faciliter la lecture des Écritures à ceux qui sont peu familiers du monde antique ou pour expliquer telle ou telle traduction littérale qui pourrait décontenancer le lecteur.
La Bible Ostervald a connu une audience exceptionnelle dans le monde protestant jusqu’à la fin du XIXe siècle, ce que son auteur était loin d’imaginer. On l’a rééditée plus de quarante fois entre 1744 et 1899. Elle présente l’avantage de s’inscrire totalement dans la tradition réformée en corrigeant de façon assez minime la version David Martin qui elle-même reprenait la Bible de Genève. Mais la prédominance de cette version jusqu’au XIXe siècle révèle plutôt la faiblesse endémique du protestantisme francophone, très affaibli par l’opposition à laquelle il a dû faire face de la révocation de l’édit de Nantes en 1685 jusqu’à l’édit de Tolérance en 1797.

  Suite : V. La Bible au XIXe siècle. Renouveau et compétition

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