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V. La Bible au XIXe siècle. Renouveau et compétition

Le XIXe siècle marque un renouveau dans le travail de traduction de la Bible en direction du public français. Les catholiques produisent quatre traductions nouvelles des évangiles et huit traductions nouvelles pour la Bible complète. Durant une cinquantaine d’années, les protestants qui ont créé en 1818 la Société biblique protestante de Paris pour faciliter la diffusion des Écritures se contentent de réviser la version Ostervald, mais dans la seconde moitié du siècle, ils produisent huit traductions partielles et quatre nouvelles traductions complètes. Mais seules les traductions réalisées par Louis Segond chez les protestants et par Auguste Crampon chez les catholiques connaîtront une notoriété durable.
Au cours du XIXe siècle, les sciences bibliques progressent considérablement avec les premières fouilles archéologiques dans les pays bibliques, la découverte de nouveaux manuscrits anciens et l’avènement d’une lecture critique des textes dans les milieux universitaires protestants. Dans une encyclique de 1893, le pape Léon XIII autorise les exégètes catholiques à utiliser les méthodes de la science biblique moderne, à condition qu’ils le fassent dans le respect de la tradition de leur Église. C’est ce document qui ouvre à Auguste Crampon la possibilité de publier les travaux qu’il mène déjà depuis déjà plusieurs années.
La découverte de nouveaux manuscrits de la Bible fait naître un débat au sein du protestantisme. A partir de quel texte faut-il traduire? Les tenants d’une lecture critique de la Bible donnent leur faveur aux manuscrits les plus anciens découverts tout récemment, le courant « piétiste » préfère conserver le Textus receptus, c'est à dire la version du Nouveau Testament grec publiée à Amsterdam en 1633 et utilisée par les grands traducteurs de la Bible jusqu’au XVIIIe siècle.

La Bible de Genoud (1821-1824)

Antoine-Eugène Genoud (1792-1849) formé au grand séminaire a longtemps exercé le métier de journaliste aux côtés de Chateaubriand ou de Joseph de Mestre. Il participe à la réaction catholique qui cherche au lendemain de la Révolution française à lutter contre l’incrédulité héritée du Siècle des lumières. Sa traduction de la Bible traduit un effort certain pour rejoindre les Français et leur proposer un renouveau spirituel, dans ligne du romantisme naissant. Mais cette traduction n’est pas toujours très précise. Chateaubriand lui-même regrette que la langue manque bien souvent de naïveté et d’énergie. L’abbé Glaire, auteur d’une traduction d’après la Vulgate accuse la version de Genoud de ne pas suivre scrupuleusement le texte latin et « de reproduire avec une fidélité scrupuleuse la paraphrase de Sacy ». La Bible de Genoud est publiée pour le première fois en vingt-trois volumes de 1821 à 1824.

La Sainte Bible de Bourassé et Janvier (1843)

Jean-Jacques Bourassé et Pierre-Désiré Janvier sont deux chanoines de l’Église de Tours. Passionnés d’archéologie et d’études bibliques, ils réalisent ensemble une traduction de la Bible à partir de la Vulgate. La lecture de leur texte est facile et agréable. Cette version aurait pu devenir beaucoup plus populaire qu’elle ne l’a été si les éditeurs en avaient proposé une déclinaison en petit format. Ils ont fait le choix d’une édition luxueuse en deux volumes, illustrés par H. Giacomelli et G. Doré qui reste une référence dans l’édition de la Bible.

La Sainte Bible de Glaire (1871-1873)

Professeur d’hébreu à la Sorbonne, Jean-Baptiste Glaire (1798-1879) est un fin connaisseur des langues anciennes. De nombreux évêques, et le pape Pie IX lui-même, réclament une traduction actualisée du Nouveau Testament. Glaire s’attaque donc à la traduction du Nouveau Testament dans le strict respect des directives pontificales. Prenant comme texte source la version de la Vulgate approuvée en 1856, il s’inspire largement de la version de Sacy, et la modifie quand cela est nécessaire. Glaire refuse toute élégance de style, il s’en tient à une stricte littéralité qui confère à sa traduction une rigueur louable, mais la prive aussi de cette vivacité qui fait l’originalité d’une œuvre. Le Nouveau Testament publié pour la première fois en 1861 reçoit en 1865 l’approbation du pape lui-même. La Bible complète est publiée en trois volumes entre 1871 et 1873. Elle demeure pendant une trentaine d’année la version de référence dans le catholicisme français. Elle a été rééditée en 2002 pour les lecteurs encore attachés à la version latine.

La Sainte Bible d’Antoine Arnaud (1881)

Prêtre du diocèse du Var, Antoine Arnaud (1827-1920) poursuit en parallèle avec son activité paroissiale divers travaux de recherche sur la Bible. Auteur d’un commentaire des épîtres de Paul et d’une concordance des Évangiles, il publie en 1881 la Sainte Bible, une traduction réalisée à partir de la Vulgate avec commentaires de bas de page. Arnaud ne fait pas un travail critique ou scientifique, il vise seulement un public éclairé qui cherche à mieux comprendre la Bible. Souvent utilisée par les séminaristes jusqu’à la fin du siècle, sa version a néanmoins souffert de l’insertion provinciale de son auteur pour connaître une large diffusion.

La Sainte Bible de Fillion (1888-1904)

Prêtre de la paroisse de Saint-Sulpice à Paris, Louis-Claude Fillon est un disciple du grand théologien catholique F. Vigouroux. Cet érudit est nommé professeur d’exégèse à l’Institut catholique de Paris et devient l’un des premiers consulteurs de la commission biblique pontificale. Sur les conseils de son maître F. Vigouroux, L.-Cl. Fillion commence par commenter et traduire les évangiles, puis se lance dans le reste de la Bible. Sa Sainte Bible est publiée en huit volumes entre 1888 et 1904. Fillion vise nommément, dans le sous-titre qu’il donne à son édition, un public de séminaristes et de prêtres, ce qui n’empêche pas d’autres utilisateurs de tirer profit de ce travail. Sa traduction suit de très près la Vulgate et reste influencée par la version de Sacy et par les diverses éditions du XIXe siècle. Tournant le dos à la critique historique qui s’est développée dans les milieux protestants, notamment en Allemagne, Fillion s’en tient à une lecture traditionnelle des textes bibliques. Il utilise un langage précis et sans ostentation, ce qui constitue un avantage certain.

La Bible du chanoine Auguste
Crampon, publiée entre 1894 et
1904, est la première traduction
catholique de la Bible réalisée à
partir des textes originaux en
hébreu et grec. Page de titre,
fonds SBF

La Sainte Bible de Crampon (1894-1904)

Avec la traduction du chanoine Augustin Crampon (1826-1894), le catholicisme français dispose enfin d’une traduction réalisée à partir des textes hébreux, araméen et grec qui devient une traduction classique jusqu’au milieu du XXe siècle. Crampon a été l’élève du célèbre exégète catholique Arthur Le Hir avant d’enseigner au séminaire de Saint-Riquier et de devenir ensuite chanoine d’Amiens. Sur les conseils de son maître, il entreprend un important travail sur la Bible, car Crampon est navré de voir que les fidèles de l’Église délaissent l’Évangile. Crampon, qui fait preuve d’une bonne connaissance des langues anciennes, prépare une traduction annotée des évangiles qui est publiée en 1864. Dans un vrai souci linguistique, il traduit à partir du seul texte grec, mais s’attache en plus à préserver le style propre de chaque auteur biblique et non pas de lisser l’ensemble comme jusque-là les traducteurs se sont ingéniés à le faire. Il essaye de préserver « une exactitude savante et minutieuse qui reproduise jusqu’aux nuances », mais en ayant le souci d’une certaine beauté littéraire en français. Le résultat est une traduction concise, souvent assez alerte. On peut regretter un certain manque d’audace de sa part lorsqu’il conserve l’appellation « Jéhovah » pour traduire le nom divin (ce mot provient de la prononciation des consonnes hébraïques du nom divin, YHWH, avec les voyelles du mot ’Adônai, le Seigneur, que les Juifs prononcent lorsqu’ils rencontrent ce mot dans la Bible hébraïque) ou lorsqu’il ne renonce pas au vouvoiement en ce qui concerne Dieu. Les notes bien documentées rédigées par Crampon, donnent au lecteur des renseignements historiques, géographiques ou des conseils spirituels. Elles ne traduisent pas la moindre polémique à l’égard des protestants, ce qui tranche par rapport à d’autres éditions du XIXe siècle. Crampon meurt en 1894 alors que paraît le premier volume de sa Bible qui en comptera sept, publiés entre 1894 et 1904.

L’Ancien Testament de H.-A. Perret-Gentil (1866)

Depuis sa création en 1818, la Société biblique protestante de Paris n’a publié que des révisions de la Bible d’Ostervald. En 1866, elle publie une traduction de l’Ancien Testament réalisée par H.-A. Perret-Gentil, professeur à la Faculté de Neuchâtel. Perret-Gentil qui suit de très près le texte hébreu, innove dans sa traduction en conservant la forme poétique de certains textes, notamment les Psaumes. En fait, Perret-Gentil s’inspire beaucoup d’un travail réalisé par Guillaume de Wette, un théologien allemand qui a publié une Bible en six volumes entre 1809 et 1812. Si la traduction de Perret-Gentil a une indéniable valeur scientifique, elle porte la trace de certaines lourdeurs ou de formules maladroites qui proviennent d’une traduction trop littérale de l’allemand.

La Bible de Lausanne (1839, 1854-1872)

C’est animé par la conviction que l’Écriture sainte communique la pensée même de Dieu qu’un groupe de protestants piétistes se met au travail sous la direction de Louis Gaussen puis Louis Burnier. Le principe de la traduction est celle d’une cohérence poussée à l’extrême : chaque fois qu’on le peut, le même mot grec est rendu par le même mot français. Certains passages peu compréhensibles ne sont pas artificiellement éclairés par une traduction qui viserait à gommer les aspérités du texte original. Certains mots usés par leur passage à travers le latin sont évités : on ne parle plus d’« Évangile » mais de « bonne nouvelle », d’« Église » mais d’« assemblée », d’« apôtre » mais d’« envoyé ». Le vocabulaire s’enrichit ainsi de plusieurs centaines de mots nouveaux. L’équipe corrige d’elle-même certains passages où le littéralisme avait été poussé trop loin. Le Nouveau Testament paraît d’abord en 1839, puis les Psaumes en 1854 et le reste de l’Ancien Testament entre 1861 et 1872. Cette Bible de Lausanne a connu une très large audience parmi les spécialistes. Elle a profondément influencé les travaux de Louis Segond.

Le Nouveau Testament d’Oltramare (1872)

C’est la Compagnie des pasteurs de Genève qui prend l’initiative de lancer une nouvelle traduction de la Bible, d’après les textes originaux. Elle confie à Hugues Oltramare (né en 1813) le soin de traduire le Nouveau Testament et elle confiera plus tard à Louis Segond la traduction de l’Ancien Testament. Oltramare n’utilise plus le texte reçu comme texte source mais celui résultant des travaux de son contemporain Tischendorf, découvreur du manuscrit Sinaïticus (daté de la fin du IVe siècle). Sa traduction manifeste une grande liberté de style, ce qui la rend agréable à lire, mais elle pèche quelquefois par un esthétisme qui lui fait perdre la rugosité de l’original.

Après avoir traduit l’Ancien Testament, publié pour la première fois
en 1874, Louis Segond traduit le Nouveau Testament qui paraît en
1880.. Page de titre, fonds SBF.

La Bible de Louis Segond (1880)

Alors qu’il est professeur de théologie à la Faculté de Genève, Louis Segond (1810-1885), signe un contrat en 1865 avec la Compagnie des pasteurs de Genève pour achever en six ans une traduction de l’Ancien Testament. Segond tient ses engagements puisque près d’un mois et demi avant le terme prévu, il remet le manuscrit de sa traduction.
Segond reconnaît qu’il doit beaucoup à la version de Perret-Gentil ainsi qu’à la Bible de Lausanne, mais il produit une traduction assez originale, notamment pour ce qui concerne les livres prophétiques. Segond ne tombe pas dans le littéralisme, il s’attache plutôt à produire une traduction précise, dans un français toujours très correct. C’est cette grande clarté dans l’expression qui explique le succès du travail de Louis Segond. L’Ancien Testament est publié en entier en 1874, après quoi Segond, selon les mêmes principes, s’atèle à la traduction du Nouveau Testament qu’il publie en 1880. La Bible complète contenant l’Ancien et le Nouveau Testament traduits par Louis Segond paraît pour la première fois à Oxford en 1880. Peu de traductions de la Bible ont connu un succès aussi fulgurant que celui de la version Segond : éditée simultanément à Oxford, Paris, Lausanne, Neuchâtel et Genève, trois cent mille exemplaires sont produits entre 1880 et 1910. Depuis cette époque et jusqu’à aujourd’hui, la version Segond reste, et de loin, la version française de la Bible la plus répandue et la plus demandée.

La Bible de Reuss (1874-1881)

La deuxième moitié du XIXe siècle connaît un renouveau des sciences bibliques en Allemagne. Un professeur à la Faculté de théologie de Strasbourg, Edouard-Guillaume Reuss, entreprend une nouvelle traduction assortie d’introductions abondantes et de notes à caractère scientifique qui reprennent largement les travaux des écoles allemandes. La traduction, très précise, manque cependant d’élégance, elle porte la trace de germanismes qui en alourdissent le style. Publié de 1874 à 1881, ce travail de Reuss est salué par la communauté scientifique, mais ne connaît pas une diffusion très populaire.

La Sainte Bible de Darby (1885)

John Nelson Darby est le fondateur d’une nouvelle forme d’Églises chrétiennes, les Églises de Frères, appelées aussi quelquefois « darbystes ». Très attaché à l’Écriture qu’il connaît remarquablement, Darby commence par traduire le Nouveau Testament avec un grand souci de littéralité par rapport au texte original. Dans la première édition de 1859, il se réfère quelquefois au texte reçu, mais au fil des rééditions, il se libère, dit-il lui-même, « de ce texte appelé sans aucune raison valable : Texte reçu ». Darby traduit l’Ancien Testament depuis l’hébreu avec la même méthode que le Nouveau, c'est à dire avec le souci de rendre la langue originale aussi littéralement que le commande « la clarté nécessaire à l’intelligence du texte ».
C’est en 1885 que la Bible complète traduite par John Darby est publiée pour la première fois. Elle est encore éditée aujourd’hui après avoir bénéficié de menues révisions de vocabulaire. Une révision complète du Nouveau Testament d’après l’original est parue en 2005.

La Bible de Ledrain (1886-1889)

Eugène Ledrain entreprend une traduction de la Bible « en dehors de toute théorie, qui ne vise qu’à reproduire dans leur vive précision, les phrases et les mots bibliques ». Bien averti des problèmes historiques et exégétiques, il rassemble sa contribution au débat sur l’histoire de la composition de l’Ancien Testament dans un volume séparé, conscient de la grande versatilité des théories dans ce domaine. Pour rendre le nom divin, Ledrain utilise le mot « Yahvéh », c'est à dire la contraction des consonnes hébraïques du tétragramme et des voyelles du mot hašŸm (le Nom). Son choix sera repris au XXe siècle par la Bible de Jérusalem.

La Bible du rabbinat français (1831-1839 et 1899-1906)

Une première traduction de la Bible dans le cadre du judaïsme français paraît entre 1831 et 1839. Elle est l’œuvre de Samuel Cahen (1796-1862), directeur de l’école du Consistoire juif à Paris. Si cette traduction ne manque ni de saveur, ni de vigueur, son style n’est pas toujours très élégant, elle porte la trace d’une influence de l’allemand. Assez critique sur le travail de Cahen, Lazare Wogue (1817-1897), grand spécialiste de la Bible hébraïque, publie une traduction du Pentateuque entre 1860 et 1869. Il faut attendre la fin du siècle pour que le Grand Rabbin Zadok Kahn se soucie de produire « une Bible française vraiment populaire, d’un format commode, d’un prix modique et agréable à lire ». Avec plusieurs membres du rabbinat français, il entreprend donc une nouvelle traduction, sans prétention scientifique, mais avec le souci de reproduire aussi fidèlement que possible le texte original reçu de la tradition juive. Cette traduction reste la seule officiellement en usage dans les milieux juifs. Elle ne sera révisée qu’une fois, en 1966.

  Suite : VI. Les traductions de la Bible dans la première moitié du XXe siècle. La Bible à la base de l’œcuménisme

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