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Table ronde : Regards croisés sur la Bible

Inauguration : la Bible s'expose à l'UNESCO

A l’ère de la mondialisation et du brassage des cultures et des religions, la Bible – juive et chrétiennes – peut-être lue et interprétée dans le seul contexte des croyants qui s’en réclament ? L’influence de la Bible va bien au-delà de la civilisation « judéo-chrétienne » qu’elle a contribué à façonner.
 
Finalement, la Bible n’est la propriété de personne : objet constant de lectures, appropriations, polémiques et interprétations diverses, elle s’enrichit de ces nouvelles significations et contribue en même temps à façonner la pensée et l’action de ses divers lecteurs.
 
Ivan Levaï, journaliste à France Inter :« Bonjour à tous,
Je vais demander à chacune des personnalités présentes de nous dire ce qu’à été son approche des textes sacrés, Bible ou Coran, et de lever le voile sur leur origine, non pas pour céder à je ne sais quel voyeurisme mais pour répondre à la question importante : qui me parle ? 
 
Pour donner un exemple : l’histoire de l’Europe fait que je suis un mouton à trois pattes. J’appartiens à trois religions à la fois. Il me manque l’Islam.
Ma mère a été juive. Donc je suis juif, incontestablement. Mais il se trouve que je suis né à une époque où il ne faisait pas bon d’être juif. Ma mère, prévenante, m’a emmené en France juste à temps (de Budapest), et a pris soin de me faire baptiser catholique. J’ai été recueilli par des protestants. Ma confirmation s’est faite dans l’Eglise réformée par libre choix.
Je peux donc participer au débat de l’identité nationale. Je suis français et fier de l’être ! Je suis tellement juif que mes enfants sont juifs, et je veux l’être aussi - mais j’ai enseigné à l’école du dimanche. J’ai donc une bonne connaissance des deux testaments. »
 
M. Rachid Benzine, islamologue, chercheur associé à l’observatoire du religieux à l’institut d’Etude politiques d’Aix en Provence : qu’est-ce qui fait que le Coran est votre livre ?
 
« J’aime beaucoup cette citation d’un philosophe sur lequel j’ai beaucoup travaillé, qui s’appelle Paul Ricœur, lorsqu’on lui demandé pourquoi il était protestant : c’est un hasard, transformé en un destin, par un choix continu.
Etre musulman c’est un hasard. Je suis né d’une famille musulmane. Mon père était très pieux ; il connaît le Coran par cœur. J’ai baigné là-dedans. Et à un moment on rencontre d’autres religions. C’est à ce moment qu’on peut confirmer ou infirmer notre choix.
J’ai été emmené à rencontrer les chrétiens dans le domaine associatif. Ensuite je me suis intéressé aux évangiles.
A l’âge de 17 ans je lisais le théologien allemand, Eugène Drewermann, dans un petit ouvrage « De la naissance des dieux à la naissance de Jésus-Christ », où il montrait l’importance du langage mythique : comment le langage mythique est un autre type de langage qui permet de dire un certain type de vérité que le langage ordinaire ne peut pas dire : et il arrive à cette idée de la virginité de Marie où il montre la notion mythique qu’on retrouve dans d’autres traditions qui ont précédé la Bible.
Pour moi ça a été un choc. Et le choc dix ans après : ma rencontre avec la Bible hébraïque grâce à une protestante. Je suis entré dans le texte par l’approche sémiotique du texte. J’ai eu l’occasion de rencontrer le grand rabbin Gilles Berheim. En tant que musulman, ce qui m’intéresse dans cette approche, c’est qu’on ne peut pas comprendre le texte coranique si on ne comprend pas que la parole coranique s’est adressée d’abord à des gens de l’Antiquité tardive (5e siècle jusqu’au 8e siècle de notre ère), des gens qui sont pétris de la Bible hébraïque, des religions païennes, du Talmud. Le discours coranique se réapproprie ces figures là pour en faire autre chose. C’est un autre moment de créativité, comme les évangiles, la Bible hébraïque, par rapport à la culture de la mésopotamie. Ce qui prouve que nous ne sommes pas les musulmans du 7e siècle. J’ai l’impression qu’on est tous des convertis quelque part… »
 
Mgr Michel Santier : Dans mon enfance, j’ai des souvenirs de la catéchèse à la 6e, toute pétrie de la découverte de l’histoire biblique. Le prêtre avait des talents de conteur qui nous faisaient goûter les textes pour y entrer. J’ai sans doute reçu le goût des écritures au cours de cette année. Les autres années m’ont beaucoup moins marqué sinon un professeur d’anglais qui faisait le lien entre les textes de la littératures anglaise et les textes bibliques. La seconde étape c’est ma formation au séminaire où je suis entré après mon baccalauréat. Le nouveau professeur d’exégèse m’a beaucoup intéressé. Il m’a fait entrer dans une méthode de lecture de l’Ancien Testament, situer les textes dans leur contexte historique, littéraire, faire le lien avec les autres textes de l’Ancien Testament ou les évangiles. En un mot, un texte est enraciné dans une histoire, et il est toujours vivant. Durant mes années de séminaire, les professeurs ont sans doute discerné en moi ce goût des textes bibliques puisqu’en 1971, ils m’ont envoyé faire des études bibliques à l’Institut biblique pontifical à Rome. Quatre années d’études. Les cours avec les grands exégètes m’ont profondément passionné et j’ai beaucoup travaillé. Si parfois l’étude critique bouscule elle nous aide à ne pas nous projeter directement dans le texte. L’étude nous fait faire l’expérience que le texte nous résiste. Nous entrons plus profondément dans le sens de la Parole. Surtout quand on a la chance d’entrer dans la tradition juive des textes et puis de prier et recevoir la parole avec un esprit d’enfance dans un groupe de prière. J’ai vécu aussi une expérience spirituelle, d’abandon à Dieu à travers des textes bibliques qui étaient un appel à la joie (récit de l’annonciation, Luc 1).
Ces paroles inspirent toujours ma mission d’évêque. La joie de se savoir aimé de Dieu ne dispense pas des épreuves de la vie mais purifie sans cesse le cœur. Peut-être que le témoignage de joie des croyants est un témoignage essentiel dans un monde gouverné plutôt par la peur.
 
Pasteur Louis Schweitzer : Ma formation s’est fait à plusieurs étages : c’est à l’école du dimanche que j’ai reçu les enseignements de ma tradition : familiarité avec la Bible. J’en suis sorti avec l’impression très forte de connaître la Bible. Je me sentais très protestant et très fier de l’être. Je me suis passionné pour les religions. J’ai rencontré un groupe d’étudiants très ouverts qui avaient l’air de prendre le texte très au sérieux. Pour moi, c’était pas très convainquant : soit ils ont raison et ça méritait plus que ça, soit ils ont tort et il valait mieux partir. Je me suis tourné vers la théologie. Puis je me suis retrouvé pasteur de paroisse avec la possibilité de partager, prêcher et enseigner les écritures. J’enseigne aujourd’hui deux disciplines : l’éthique et la spiritualité. L’écriture est la parole qui nourrie et qui prend corps. La ‘Lectio divina’ est pour moi centrale.
 
Ivan Levaï, citant Elie Wiesel : « si je vis encore le jour de l’arrivée du Christ, il y aura naturellement tous les médias. Le premier journaliste, je lui jetterais ma canne dans les jambes car il faut à tout prix empêcher de poser la question : ‘est-ce que c’est la première fois, ou est-ce que c’est un retour ?’ »
 
René Samuel Sirat, grand rabbin, directeur de la chaire « Connaissance réciproque des religions du Livre et enseignement de la Paix » à l’Unesco : « Je suis né en Algérie. J’ai appris à lire l’hébreu à 3-4 ans, avant le français. Puis à 12-13 ans, c’est la ‘Barmisvah’, on est capable de se présenter devant l’arche de l’alliance et de parler pour toute la communauté. La parole de Dieu est comme un roc. Lorsqu’une masse s’abat sur le roc, elle fait jaillir des milliers d’éclats, qui tous appartiennent au roc. Je me permets de conclure par un enseignement : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse, le reste n’est que commentaires, va et apprends ». Et cet apprentissage dure toute la vie. »
 
Marc Delaunay, philosophe à l’école normal :« St Augustin, St Thomas, Spinoza, Kant, Hegel, Nietzsche, Ricœur…. Les philosophes s’imaginent volontiers se situer sinon au-dessus de la mêlée, à côté. On s’aperçoit qu’ils servent leur propre fin en mettant la textualité entre parenthèses. Le texte biblique recèle de philosophie. »
 
Ivan Levaï : « comment pratiquez-vous cette lecture ? »
 
Rachid Benzine :« A quoi renvoie le discours ? La référence au hors texte devient très importante – intertextualité -. Il me semble que nous ne pouvons pas lire un texte religieux sans le mettre en perspective avec d’autres textes tirés d’autres religions. La question du langage me taraude. Tant qu’on a pas posé quelques jalons sur ‘Qu’est-ce que le langage ?’ On ne peut pas commencer à lire. L’importance des genres littéraires, des métaphores, du mythe, du langage et comment ce que nous appelons Dieu intervient dans le langage. Il faut reconnaître le travail de la tradition et de la religion mais il faut reconnaître aussi des méthodes de lecture.
A quel niveau de lecture nous nous situons ? »
 
Ivan Levaï :« c’est une démarche sans fin… »
 
Rachid Benzine :« On n’est pas obligé d’arriver à un accord. »
 
Michel Santier :« J’ai enseigné l’exégèse pendant 23 ans. L’évangile de Jean me parle beaucoup. On est pétri de cette parole dans nos réflexions, lectures, nos vies. Il y a l’office chaque jour, les psaumes priés… comment la rencontre avec la différence nous oblige à transformer notre rencontre ? Je prends l’exemple de Jésus qui dialogue avec des étrangers.
Lorsque je discute de ce texte avec les jeunes, je leur demande ‘Que dit ce texte ? En quoi est-ce une parole vivante aujourd’hui ? Quel est le visage de Dieu qui est révélé dans ce texte ?’ Et je suis très étonné de la soif des jeunes, de leur besoin d’intériorité.
La Bible n’est pas qu’un recueil de lois, d’obligations. C’est important de leur expliquer que ces textes peuvent être lumière dans leur vie, et peuvent leur permettre de rentrer dans la parole de Dieu. »
 
Louis Schweitzer :« Le dialogue interreligieux n’empêche pas la plongée dans une spiritualité. La Bible est un lieu de bain, d’immersion, de réflexion. C’est un texte qui résiste aux autres textes. La pratique régulière et toujours renouvelée permet d’éviter de mettre Dieu dans des boîtes. »
 
René Samuel Sirat : « J’ai un principe fondamental : laisser la liberté de celui qui est en face de vous. Considérer le texte biblique comme nouveau et pas simplement la répétition de ce qu’on a étudié et perçu hier. Nous avons le devoir d’augmenter notre connaissance biblique chaque jour.
Exemple, en 1986 à Auschwitz il y a eu un débat pour autoriser ou non l’existence d’une communauté Carmélite sur les lieux. Rabbins (délégation juive) – cardinaux (délégation chrétienne). Le texte biblique a sauvé l’amitié judéo-chrétienne. Il est dit dans le deutéronome : si une ville s’adonne à l’idolâtrie, il faudra détruire la ville qui ne devra jamais être reconstruite. Seul le silence est la règle. »
 
Marc Delaunay :« Comment le texte biblique a lui-même dépassé le mythe, en produisant quelque chose qui n’existe pas ? La Bible a permis l’invention de la conscience de la mémoire.
Pourquoi la philosophie peut tirer des textes bibliques des enseignements ? Parce que les conditions de la possibilité de vie en commun sont régies par un horizon qui est l’éthique. »
 
Ivan Levaï : « Qu’est-ce qui est l’essentiel à transmettre ? »
 
Rachid Benzine :« la transmission suppose la notion du temps et de la durée – elle consiste à essayer que les jeunes générations puissent être ce que nous appelons de véritables héritiers. Même si on se déclare contre quelque chose, encore faut-il savoir de quoi nous parlons. Il faut connaître les traditions qui nous précèdent et savoir rompre avec elles. Je pense qu’il ne peut y avoir de fidélité que dans la rupture. Cela suppose de dénouer un à un chaque fil de cette même tradition. Il y a plusieurs rapports au réel. Les différents genres littéraires font qu’il existe différents rapports à la vérité. Il n’y a donc pas qu’une conception de la vérité qui serait unique et plate. »
 
René-Samuel Sirat :« Il faut rappeler que la foi biblique : la triple loi d’amour, qui résume la Bible toute entière :
1 – tu aimeras ton prochain comme toi-même
2 – tu aimeras l’étranger comme toi-même
3 – tu aimeras Dieu de toute ton âme…
Il y a aussi la dimension universelle de la Bible : le psaume 67 doit être lu plusieurs fois par jour. »
 
Louis Schweitzer :l’essentiel à transmettre c’est l’ensemble du texte biblique. Sortez ces trois lois d’amour du contexte, vous n’aurez que des principes philosophiques flottants. Jamais il n’y a eu autant de possibilités de transmission qu’aujourd’hui : Bible en manga, en commentaires, en français courant… Il y a plus de facilité mais il faut aussi qu’il existe des communautés de croyants qui lisent la Bible et qui donnent envie de la lire.
 
Mgr Santier :ce qui est essentiel c’est de faire connaître les textes bibliques aux jeunes. C’est une joie et un bonheur. On connaît Dieu, mais aussi l’homme à travers la Bible. Je suis très frappé, au contact des jeunes : pourquoi les religions sont acteurs de guerres ? Si on ne réagit pas, on est en train de fabriquer des incroyants. Il est essentiel de montrer tous le progrès qui a été fait dans le dialogue interreligieux - exemple : la TOB. Le travail biblique ouvre des perspectives. Ce travail ouvre le chemin de la paix.
Il faut que nous relisions les textes bibliques pour approfondir la vocation de la femme dans la société.
 
Marc Dealaunay :« la Bible nous enseigne quelque chose de tout à fait remarquable par rapport à la transmission : le fait qu’entre Adam et Eve et Abraham il y a 10 générations, entre Noé et Moïse, 10 générations. La Bible nous suggère une patience, qui est nécessaire lorsque nous sortons d’une catastrophe majeure. Il faut aussi conserver la déontologie de l’enseignement et de la transmission, c’est le respect de l’autre : forcément l’autre a quelque chose à dire d’important. Encourager les jeunes à savoir ce qu’ils ne connaissent pas. Il faut respecter nos traditions et approfondir nos connaissances. Il importe de s’informer lorsqu’on transmet, ce sont les conditions du savoir et le savoir qu’on transmet. D’autre part, il faut être conscient qu’on ne maîtrise pas ce qu’on transmet. Cela doit nous rendre prudent et modeste. »

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