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Table ronde : Bible et dialogue des cultures

Inauguration : la Bible s'expose à l'UNESCO

En différents lieux et époques, la Bible a pu être utilisée pour justifier violences et oppressions, qu’il s’agisse des guerres de religions, de l’esclavage, ou des conquêtes coloniales. Encore aujourd’hui, et sur tous les continents, appartenances religieuses et nationalismes s’entremêlent parfois dangereusement : on invoque la Bible ou d’autres textes sacrés pour attiser la haine et le rejet de l’autre. La Bible elle-même ne porte-t-elle pas cette part de violence dans nombre de ses récits ?

La Bible et les autres grands textes religieux sont-ils générateurs de conflits ou constituent-ils au contraire des ressources incontournables pour construire la paix et la compréhension entre les humains ? Pour tenter d’apporter des réponses, Dominique Greiner, rédacteur en chef de La Croix, s’est adressé à Thomas Römer, titulaire de la chaire des mondes bibliques au Collège de France, auteur de Dieu Obscur ainsi qu’à trois témoins qui ont trouvé et trouvent encore dans la Bible une source d’inspiration pour leur engagement en faveur de la justice, de la paix et de la réconciliation.
 
Dominique Greiner, rédacteur en chef de La Croix 

« Il a beaucoup de suspicions concernant les religions comme sources de violence. Est-ce une manière de se disculper ? La tradition biblique n’occulte pas la violence. Elle en parle comme une réalité humaine. Elle ne cherche pas d’autres coupables que la liberté humaine. La violence ce n’est pas l’autre, c’est peut-être la violence qu’il y a au fond de nous. La Bible n’est pas un livre d’histoires de violence, elle annonce également un royaume de paix. C’est un don qui est fait à l’humanité. Et il faudra nous demander ce soir comment les communautés religieuses nous invitent à construire un royaume de justice et de paix et peuvent contribuer à régler des situations de violence qui traversent notre temps. »
 
Thomas Römer, titulaire de la chaire des mondes bibliques au Collège de France 
« Lorsque l’on commence à lire la Bible, nous sommes très vite embarrassés : Adam et Eve sont chassés du Paradis, Caïn tue son frère Abel, Noé est le seul réfugié du Déluge, la sortie de l’esclavage du peuple hébreu se traduit par le massacre des autochtones pour obtenir la « terre promise ». Ainsi, les textes fondateurs sont emprunts de violence où Dieu n’est pas absent. Les positions intégristes légitiment toute cette violence pour régler des problèmes territoriaux (les croisades), ou raciaux (apartheid), en oubliant la dimension historique de la Bible, le contexte dans lequel elle a été écrite. Plus récemment, l’utilisation de versets bibliques sur les bombes américaines n’est pas anodine. Il faut donc lire tout texte biblique en le resituant dans son contexte historique. Et il faut s’interroger sur notre propre situation car nous n’avons pas la même lecture de la Bible dans l’abondance ou dans la misère. La Bible nous exhorte à rester vigilants dans la manière de lire les textes. Certains psaumes, par exemple, appellent à la vengeance divine : ces cris de désespoirs étaient le dernier moyen pour manifester sa souffrance ; cris légitimes lorsque l’on est dans une situation de misère.
La Bible elle-même à l’intérieur des textes qui peuvent paraître choquants donne de petites pistes pour sortir de ce cercle de violence. Caïn, en tuant son frère, a enclenché cette spirale de violence, mais Dieu l’a arrêté en posant un signe sur lui pour le protéger, lui l’assassin. Dans le livre de l’Exode, lorsque le pharaon ordonne de massacrer tous les premiers nés hébreux, les sages femmes égyptiennes l’en empêchent. Ainsi, il faut assez de discernement pour dépasser les lectures primaires. »
 
Samira Hanna-el-Daher, ambassadeur du Liban 

« Les mentions du Liban sont nombreuses dans la Bible (Cantique, livre d’Esaïe), elles sont le signe de la belle unité des gens du Livre dans le beau pays qui est le mien. Juifs, musulmans, chrétiens se sont partagés, tout au long des siècles, la foi en un Dieu unique. Lors des guerres de religion au Liban, la foi n’a jamais fait défaut aux deux camps. Les combats durèrent pourtant 20 ans (77-97). Des réunions interreligieuses se sont tenues en pleine guerre et ont permis la visite, à la fin des pourparlers de paix, en 1997, de Jean-Paul II. Plus d’un million de Libanais, toutes confessions confondues, l’ont attendu pendant des heures. Dans son exhortation apostolique, il nous invitait au dialogue interreligieux. La foi permet de se réunir, de mieux vivre ensemble : Psaume 103 : « Dieu est amour », Matthieu 5.38 : « Aimez vos ennemis », les béatitudes s’adressent à tous. Pour le Coran, celui qui est le plus proche de Dieu est le plus pieux.
Chrétiens et musulmans ont de multiples points communs. Au Liban, cela s’est traduit dans la loi civile par plusieurs compromis : les tribunaux, par exemple, font preuve d'indulgence envers les hommes auteurs de crimes d’honneur. L’heure semble avoir sonnée pour la réconciliation. »
 
Mary Mbiro Khimulu, ambassadeur du Kenya auprès de l’Unesco 

« Au Kenya, religion et paix sont des compagnons naturels. Lorsque les missionnaires sont arrivés, la Bible était perçue comme un élément de la colonisation. L’évangélisation, en mettant fin aux croyances des divinités, a provoqué des pertes culturelles et de repères dans l’appartenance familiale, mais a été positive dans l’éducation. Dieu se révèle à tous. Aujourd’hui, les ONG religieuses ont des rôles importants, elles sont garantes de la paix. Nous devons mélanger nos différentes pratiques religieuses pour garantir cette paix. Deux exemples : Bakira Hasecic, à la tête d'une association de femmes croates et musulmanes victimes de viols pendant le conflit yougoslave, a permis à ces femmes de devenir indépendantes financièrement. Au Mozambique, l’évêque Denis Sengulane a « transformé les épées en outils agricoles » : il a récolté assez d’armes pour construire plus de 600 000 outils ! »
 
Emmanuel Lafont, évêque de Guyane 

« L’Amérique latine a connu des œuvres de paix remarquables, depuis longtemps. L’évangélisation est perçue comme un travail de justice. Aimer, c’est donner de soi-même, donner justice, c’est rendre à l’autre ce qu’il lui est dû. Nous ne cherchons pas à tout prix la laïcité, c’est ce qui facilite le dialogue. Lorsque j’étais évêque à Soweto (banlieue de Johannesburg en Afrique du Sud) pendant 10 ans, j’aimais par exemple partager la joie de Pâques avec mes amis musulmans qui m’invitaient à la fête de la rupture du jeune (Ramadan). Le dialogue œcuménique est un facteur de paix et d’action. C’est également une invitation à une conversion intérieure à la vérité que notre interlocuteur professe et qui est beaucoup plus grande que lui. Pour favoriser ce dialogue, nous allons accueillir l’exposition biblique de l’ABF en Guyane, via une association œcuménique et culturelle que nous venons de créer ! »
 
Thomas Römer 

« Je voudrais revenir au thème de cette table ronde : le dialogues des cultures. Entre chrétiens on peut s’entendre, mais si je dis « le Christ est la révélation chrétienne », comment puis-je dialoguer avec un juif ou un musulman ? Je crois que c’est une question qu’il faut poser aux trois religions monothéistes car chacune d’une certaine manière se croit en possession de la vérité. Nous devons peut-être apprendre des témoignages de ces intervenants que la collaboration entre les différentes religions est indispensable. Dans tout humain il y a ce désir de paix. Il faut réfléchir à ce qui empêche la paix et accepter que l’une ou l’autre religion a autant de droits de se référer à sa religion et sa lecture des textes fondateurs que moi-même. Et c’est à partir de cela qu’on arrive il me semble à un vrai dialogue des cultures. »
 
Propos recueillis par Emma Lassort

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